GAVRINIS, SIGNES ET NUAGES

propose de  SERGE CASSEN
et sa collaboration dans ses recherches avec 
Laurent Lescop, Valentin Grimaud, Cyrille Chaigneau, Hugues Plisson, Guirec Querré, Dominique Sellier, Marie Vourc’h, Thomas Calligaro, Nancy Marcoux, David Menier, Didier Morel, François Pustoc’h, Bruno Suner, Barbara Trichereau, Véronique Vergès-Belmin. 



Prolongement de la publication synthétique parue en 2009 autour des fouilles archéologiques du Grand Menhir et du dolmen dit Table des Marchands à Locmariaquer, le programme développé entre 2011 et 2013 à Gavrinis a pu réunir des archéologues et des géologues, des architectes et des géomètres, des biologistes et des médiateurs du patrimoine, en vue d’acquérir et de restituer des informations sur une tombe du Néolithique (3900-3500 av. notre ère) parmi les plus emblématiques du patrimoine monumental européen. Plusieurs des éléments architectoniques visibles à l’intérieur de la tombe sont d’ailleurs tirés de structures antérieures datées du milieu du Ve millénaire avant notre ère.

Pour résumer par le texte les innombrables images présentées lors de cette conférence, nous proposerons simplement le déroulé chronologique des opérations de terrain et de laboratoire au cours des trois dernières années.

2011
Notre objectif général, proposé en 2010 au Service régional de l’archéologie de Bretagne ainsi qu’au service départemental d’archéologie du Morbihan, était l’enregistrement des données topographiques, archéologiques, pétrographiques et acoustiques du tumulus de Gavrinis et de la tombe à couloir inscrite à l’intérieur, afin d’assurer une représentation renouvelée de l’architecture, d’une part, des signes gravés et éventuellement peints, d’autre part.


Le relevé topographique a consisté en une acquisition des données spatiales géoréférencées, collectées et restituées sur un support, graphique et numérique. Cette étape a permis de balayer le cairn dans son ensemble à l’aide d’un premier « scanner 3D », en élargissant l’acquisition aux sols environnants ; les parois de la tombe et la dalle cachée de la couverture ont été enregistrées au moyen d’un second instrument laser à résolution plus fine. La combinaison de ces « nuages de points » permet désormais de se déplacer en temps réel dans un environnement en 3 dimensions. A l’issue de cette campagne lasergrammétrique, plusieurs dizaines de millions de points ont été enregistrés en x, y, z. L’emploi du capteur à haute résolution a permis en outre de détecter des gravures encore inédites, que nous ne soupçonnions pas au bas de certains orthostates, et qui démontrent une nouvelle fois que des panneaux gravés se poursuivent sous le niveau du plancher. 

Une série de prises de vues photographiques systématiques des orthostates a été conduite en parallèle. Une campagne de mesures au spectromètre à fluorescence X a enfin permis de tester les colorations suspectes repérées dès 2007 sur les orthostates L5, L6 et R9 ; afin d’en évaluer l’étendue, un traitement infographique des clichés pris sur plusieurs années (1984, 2000, 2009, 2011) a été produit pour comparaison.

Concernant les signes gravés, un tableau comparatif des méthodes a été proposé, qui permet d’apprécier avantages et inconvénients de l’estampage, du calque cellophane, de la photographie numérique du scanner 3D. S’il e incontestable que le scanner permet enfin de restituer les gravures dans le relief fidèle du support, puis dans l’ordre architectural du monument – un saut qualitatif sans aucune mesure avec les documents graphiques jusqu’ici mobilisés -, la précision d’enregistrement millimétrique des tracés (le micro-relief anthropique) ne dépasse pas le degré de détail atteint par la photographie numérique aidée d’éclairages rasants. Ces deux méthodes sont par conséquent complémentaires, et la restitution du corpus devra les employer de concert. Quant à la possibilité que des gravures aient été rehaussées de peintures, l’analyse chimique par spectrométrie portable XRF n’a pu déterminer l’origine de la matière colorée et ne peut conclure à une datation néolithique des réalisations aujourd’hui visibles ; des analyses complémentaires sont donc nécessaires.

A partir de ces modèles numériques, on préconise la constitution d’une maquette 3D générale du monument, qui ouvre aux chercheurs d’importantes possibilités d’analyses et d’interprétation. Au-delà du travail scientifique (corpus renouvelé des signes, mesure de l’altération différentielle des supports déjà perceptible à l’issue de cette campagne, recherche régionale de formes homothétiques, validation d’hypothèses architecturales, etc.), la maquette peut être exploitée pour la communication vers le public (images, visites virtuelles, réalité augmentée, objets en résines synthétiques, etc.). 


Une analyse iconologique préliminaire d’un signe (« hache ») est d’ores et déjà proposée afin d’anticiper le scénario explicatif final. Une lecture relative à la distribution et au nombre des gravures de haches sur les orthostates et les dalles de couverture ne donne pas d’indication claire sur la possibilité de remonter un système logique, structural. Mais, en revanche, le spécialiste reconnaît une représentation exacte de certaines morphologies de lames polies rencontrées en contexte funéraire (les grands tumulus carnacéens) et non funéraire (dépôts/sacrifices), ainsi qu’une disposition évidemment organisée au sein de chaque support. Si l’on ajoute le fait que le couloir a été construit au moins en deux étapes, on comprend en partie le manque de gravures constaté dans le premier tronçon situé vers l’entrée. Dans tous les cas, il faut accepter l’idée que nous travaillons au sein de grands ensembles chronologiquement distincts à Gavrinis, même si le plus récent (la tombe et son couloir) n’ignore pas le précédent (l’ouvrage de stèles).

Plusieurs indices prouvent des réemplois de monolithes : 
- des gravures, nous l’avons dit, se poursuivent au-delà du niveau du plancher ; 
- des orthostates sont amputés de leur extrémité sommitale pour être amenés au niveau des piliers voisins alors qu’il aurait suffit de mieux les enfoncer en terre pour préserver la gravure ; 
- des gravures sont cachées sur les tranches à peine visibles entre deux piliers ou sur les faces des dalles tournées vers le cairn ;
- enfin les représentations de haches se conforment très bien à la typologie des objets vrais, tous datés entre 4700 et 4300 av. J-C., soit plusieurs siècles avant l’utilisation de la tombe à couloir.

Le défi des recherches est de comprendre le jeu des transitions architectoniques et des perdurations de sens entre motifs gravés principaux et secondaires. D’autres indices, en effet, laissent supposer une intervention sur les gravures après la mise en place des orthostates.

Avec l’opération Gavrinis, nous pensons avoir clairement défini en 2011 les objectifs scientifiques, en sorte que la finalité des besoins a induit les produits à élaborer et donc la technique la plus efficiente à mettre en œuvre pour les réaliser, au-delà du simple fait de fabriquer des images de synthèse sophistiquées qui risquent d’occulter toute interrogation.

2012

Après les travaux d’acquisition générale des données menés en 2011, l’équipe a recentré ses efforts sur des études de cas pour mettre au point un certain nombre de protocoles d’enregistrements et d’analyses.
 
  Un exercice complet a été mené sur l’orthostate L6 pris comme étalon en raison de sa complexité graphique et la présence de colorations. Aidés des nuages de points et de la photographie de l’objet éclairé par incidences tournantes, les relations d’antéro-postériorité des tracés ont été établies chaque fois que les recoupements le permettaient. Des entités graphiques comprenant un ou plusieurs signes ont été individualisées puis ordonnées selon une séquence temporelle. Une véritable logique et une intention évidente animent l’ensemble de la composition. Sur cette base seulement seront portées des faits d’interprétation. Ces résultats très satisfaisants, et pour dire vrai inattendus, autorisent la reproduction d’un tel processus de reconnaissance à l’ensemble des supports gravés. 

La dalle R11 en grès dur a posé un autre défi en marquant très nettement les limites d’un enregistrement laser infra-millimétrique que nous pensions suffisant à la résolution de 0,5/1 mm. La dureté de la roche a empêché que les tracés soient creusés dans les grains de quartz, à la différence d’une roche grenue comme le granite, et a donc entravé la lecture des gravures dans le nuage de points. L’enregistrement photographique a mieux réussi le test mais après un lourd investissement sur le terrain et en laboratoire. Seul l’emploi d’un logiciel de détection des teintes a finalement permis de retrouver la quasi totalité des impacts sur la roche, et d’en restituer ensuite la géométrie selon la technique habituelle des images compilées. Le résultat obtenu est spectaculaire, multipliant par 4 le nombre des tracés.

La position malheureusement inaccessible de la grande gravure au dos de L11 a déterminé une opération « bricolage » plutôt qu’une acquisition dans les normes. Un appareil photographique a été glissé par un intervalle de 20 cm pour enregistrer, secteur par secteur, l’ensemble des tracés. Recomposés dans une image unique, ces tracés ont été comparés au moulage médiocre réalisé à l’époque de la restauration du site. Une synthèse est donc proposée qui positionne le motif de Gavrinis comme un des plus complets dans la famille des « haches-engainées ». Sans dévoiler ici l’interprétation du signe qui ne viendra qu’en dernière instance, on rappellera qu’il ne s’agit ni d’une hache ni d’une gaine…

Au contraire de la dalle précédente, le monolithe S12, dit « de seuil », dont l’original fut fort opportunément rapatrié au dépôt de fouilles de Vannes par le SRA Bretagne (C.T. Le Roux), a pu bénéficier d’un enregistrement idéal dans la mesure où sa manipulation dans l’espace par le biais d’une grue offrait bien plus de possibilités de mesures. L’emploi d’un scanner à haute résolution a permis de détecter des gravures encore inédites, complété par les photographies sous éclairages rasants. Une campagne de prises de vues photographiques systématiques a été conduite en parallèle pour tester différents serveurs de photomodélisation en regard des résultats vrais obtenus de la lasergrammétrie (mensurations, volume, poids). Cette sorte d’étalonnage des instruments permettra l’emploi raisonné des différentes techniques suivant les objectifs à atteindre. Au final, le monolithe S12 est le fragment d’une ancienne stèle, naturellement cassée  sur un côté et volontairement tronquée sur l’autre côté pour s’adapter à la configuration du couloir. La tranche en question est le premier exemple véritablement attesté dans le Néolithique breton d’une fracturation d’une stèle par mortaises.

Objectif incontournable de la campagne 2012, le corpus actualisé des gravures de Gavrinis est enfin prêt. Chaque monolithe est désormais exposé selon le niveau de représentation souhaité, du nuage de points virtuellement éclairé à la synthèse graphique hiérarchisée. 

Concernant les signes gravés, un tableau comparatif des méthodes a été amélioré par rapport à l’exercice 2011, qui permet d’apprécier avantages et inconvénients de l’estampage, du calque, de la photographie numérique (photogrammétrie, éclairages tournants sur images compilées) et de la lasergrammétrie. 

Quant à la possibilité que ces gravures aient été rehaussées de peintures, les analyses faites à l’aide d’un microscope électronique à balayage et d’un spectromètre de dispersion d’énergie ne peuvent toujours pas conclure à la datation néolithique des réalisations visibles, la présence d’un composé au plomb tendant à attribuer cette coloration à la période contemporaine, malgré la présence d’ocre. La couleur foncée au creux de P2 est du charbon, mais là encore rien ne permet de déclarer qu’il est bien néolithique, Z. Le Rouzic ayant employé du fusain pour rehausser ses calques de levés sur cette dalle en 1935 (archives Wilhem/Bailloud). Une analyse radiocarbone AMS est donc nécessaire.

A partir de ces modèles numériques, la constitution d’une maquette 3D générale du monument a fait l’objet d’un effort particulier, aussi bien financier que technique. Le film virtuel construit pour l’occasion par la société MGDesign (Nantes) ouvre aux chercheurs d’importantes possibilités d’analyses, d’interrogations, de représentations et d’interprétations. Mais au-delà du travail scientifique, la maquette doit désormais être exploitée pour la communication vers le public (images, visites virtuelles, réalité augmentée, site Internet, objets en résines synthétiques, etc.), ne serait-ce que pour rendre compte de ce travail en cours, qui déborde d’informations brutes susceptibles d’être appréciées et commentées, avant même que ne soit proposée une interprétation générale des signes.

Une maquette « matérielle » extraordinairement précise de l’orthostate L6 fut par ailleurs réalisée en plastique ABS ; elle donne la mesure de ce qu’il est possible de réaliser d’un point de vue didactique et médiatique.

2013

Au terme de la campagne 2013, nous aimerions pouvoir désormais exploiter la grande quantité d’informations accumulée en trois ans de recherches et acquisitions diverses sur le terrain. Ajouter davantage de données ne serait pas raisonnable si les objectifs premiers (l’identification de tous les signes, leur décomposition et leur remontage au sein du volume architectural, la dynamique du programme iconographique) n’étaient pas tous atteints plus ou moins simultanément. C’est ce travail qui reste à fournir, qui sera long : compter 210 h de traitement à l’ordinateur, par dalle, non compris les retours pour contrôles sur le site. Cinq dalles sur 25 ont été traitées, on peut imaginer sans difficulté le chemin restant à parcourir…

Preuve a été faite qu’un travail de médiation pensé en parallèle au travail scientifique d’investigation peut être mené avec succès. Le public et les élus, ainsi que nos collègues en charge de l’évaluation, ont pu apprécier les possibilités de divulgation rapide que ces documents numériques génèrent, et les outils nouveaux mis à notre disposition pour assurer un bon transfert de la narration archéologique. Certains instantanés de la science en train de se faire sont en soi une information susceptible d’être commentée et diffusée, avant même l’interprétation des faits techniques ou des représentations idéelles qui sont de l’ordre du temps long. C’est cependant cette ultime étape qu’il nous faut franchir pour ne pas limiter Gavrinis à de belles images et à une visite virtuelle. Encore une fois, cette étape nécessite du temps.

La seule obligation qui pourrait occasionner des dépenses non prévues sur le terrain en 2014 serait l’accompagnement de nos collègues du LRMH et de Geolittomer s’il s’avérait nécessaire de poursuivre l’enquête relative à l’état sanitaire (notamment climatique) du monument en son ensemble. Mais il est difficile ici d’anticiper sur ces missions, et aucune demande d’opération archéologique ne peut être sollicitée dans cette incertitude. On peut espérer que notre unité de recherche répondra favorablement si une demande ponctuelle se faisait.

Nous attendons maintenant les résultats de différentes mesures du radiocarbone sur les charbons prélevés. En particulier au niveau du « noir » visible dans certaines gravures qui est bien du charbon. Mais le doute subsiste sur son ancienneté. De même, aucun liant n’a été identifié dans le colorant rouge, qui ne plaide pas en faveur d’une peinture préhistorique. Le « blanc » est d’ailleurs une contamination biologique anthropique et le « noir » le résultat probable des frottements modernes sur les parois. 

L’expérimentation de gravures, débutée en 2012 et magistralement prolongée en 2013 grâce à la coopération du musée de Carnac, est par contre une direction de recherche et un mode de médiation qui devaient être poursuivis sans attendre, que pourrait d’ailleurs avantageusement accompagner la tracéologie tridimensionnelle ; nous avons fait la preuve d’une réussite en ce domaine, tant du point de vue des connaissances acquises, inédites et inestimables, que du contact avec le public dans le cadre de la présentation du monument et de la divulgation des savoirs archéologiques et anthropologiques. Ni fouille, ni prospection, ni publication, la question du financement de l’expérimentation sur monolithe (extraction, dressage des surfaces, tracés des gravures) devrait être néanmoins posée si nous souhaitons continuer dans cette voie, où l’observation ne peut être concluante sans un référentiel rigoureusement contrôlé.

Ainsi qu’il fut convenu en 2011, l’ensemble de la documentation numérique accumulée (500 Go) à l’occasion de ces trois campagnes d’acquisitions et de traitements sera copié et adressé au pôle Archéovision (UPS du CNRS, Bordeaux) qui est le Conservatoire national des fichiers 3D en SHS émanant d’opération d’acquisition 3D ou de valorisation du patrimoine (dir. R. Vergnieux). Il est important de maintenir les modèles 3D non seulement tout au long de la recherche qui les a initiés mais également en vue d’études et de futures enquêtes en pérennisant les formats et les supports. Une copie similaire sera adressée au SRA de Bretagne et au SDA du Morbihan. 

Un projet de colloque de divulgation (« Autour du Gouffre »), à l’image de celui que nous avions organisé au terme du programme en Locmariaquer (« Autour de la Table »), est prévu se tenir dans la région à l’issue des analyses et des traitements en laboratoire (horizon 2016-2017). Il réunirait, pour une exposition publique, tous les contributeurs et partenaires engagés par nos travaux.

En résumé…
La conférence a porté sur quelques acquis obtenus de plusieurs techniques d’enregistrements menées ces dernières années sur les dalles gravées de la tombe à couloir de Gavrinis (Larmor-Baden, Morbihan), mais également sur son enveloppe pierreuse telle que l’a modifiée la restauration moderne du monument.

Lasergrammétrie et photogrammétrie permettent de naviguer au sein de nuages de points référencés dans un espace donné. Ces points informent des surfaces, puis génèrent des volumes, en images fixes ou animées. Les fameuses gravures de la tombe peuvent alors être revues et corrigées dans la morphologie du support, puis comprises dans la chronologie de leur réalisation grâce aux photographies compilées sous éclairages tournants. 

Tout devient plus précis mais aussi plus complexe, chaque dalle décorée devient un monde en soi. Pourtant, nous ne sommes pas encore au stade d’une interprétation des signes, de l’intervalle entre les signes, de l’intervalle entre les supports : le but ultime de ce programme…

Voir ICI ne synthèse video de cette conférence 
et ICI aussi

Remerciements : Le programme de recherche mené sur Gavrinis a bénéficié de l’aide et des subventions du Ministère de la culture (DRAC et SRA Bretagne), du CNRS, du Conseil général du Morbihan, du Laboratoire de recherches archéologiques de l’université de Nantes, de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Nantes, du Laboratoire d’archéosciences de l’université de Rennes 1, du musée de Préhistoire de Carnac, du Service départemental d’archéologie du Morbihan, du Laboratoire de recherche des monuments historiques, du Centre de recherche archéologique de l’université Bordeaux 1, enfin de la Sagemor.