Un abbé hors normes : Henri BREUIL


Arnaud Hurel est historien, docteur en histoire contemporaine, au département de préhistoire du Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN) et membre du Comité des travaux historiques et scientifiques (CTHS).
Il est l'auteur de nombreux articles scientifiques et de vulgarisation consacrés à l?histoire des idées (XIXe & XXe siècles), à travers l'histoire des sciences et les politiques du patrimoine. 
Il a publié :
- La France préhistorienne de 1789 à 1941, CNRS Éditions (2007) ;
- En collaboration avec Noël Coye, Dans l'épaisseur du temps. Archéologues et géologues inventent la préhistoire, Publications scientifiques du Muséum (mai 2011)
- et avec Amélie Vialet, Teilhard de Chardin en Chine. Correspondance inédite (1923-1940), Éditions du Muséum-Édisud (2004).
 En août 2011, il a publié : Henri Breuil. Un préhistorien dans le siècle chez CNRS Éditions.
Cette biographie est en vente à la librairie du musée de Carnac


Lors de sa conférence, Arnaud Hurel nous a décrit la vie de l'Abbé Breuil en en soulignant sa vie atypique, son caractère volontaire, rigoureux et en la plaçant dans le contexte particulier, politique et scientifique de la recherche préhistorique naissante.
Ce fut une conférence très dense compte tenu de l’extrême activité qu'Henri Breuil a montrée et la quantité de ses publications. Arnaud Hurel lui-même nous fera part avec humour de l'inconscience qu'il a fallu pour s'attaquer à une telle biographie.




Henri, Édouard, Prosper Breuil naquit le 28 février 1877 à Mortain (Manche). Son enfance se déroule principalement à Clermont-de-l’Oise où son père, au caractère bien trempé y occupe la fonction de magistrat qu'il n'hésitera pourtant pas à abandonner en refusant les ordres de ses supérieurs. Henri Breuil héritera de ce caractère, voulant sans cesse affirmer ses idées et même recherchant le combat. Sa première bataille fut peut-être de s'opposer à ses parents qui trouvaient saugrenue cette décision de devenir prêtre.
En 1895, il intègre le séminaire de Saint-Sulpice en première année de philosophie à Issy-les-Moulineaux.
Au séminaire Henri Breuil fera deux rencontres qui seront déterminantes pour tout le reste de sa vie : l'abbé Jean Guibert et Jean Bouyssonie, découvreur avec ses frères Amédée et Paul quelques années plus tard du célèbre homme de Néandertal de la Chapelle-aux-Saints. Jean Bouyssonie restera un compagnon de route dans toutes ses recherches.
Jean Guibert lui communiquera la passion de ce qui deviendra plus tard l'étude de la préhistoire, et ce qui en découle : la notion nouvelle et osée pour l'époque de l'évolution de l'humanité. L'Homme ne doit pas être séparé des autres espèces vivantes et doit être appréhendé dans une perspective évolutionniste.
En 1897, Il rencontre Édouard Piette qui lui fait découvrir le magnifique mobilier préhistorique trouvé dans les grottes pyrénéennes de Gourdan, Lortet, Arudy, du Mas-d'Azil, de Brassempouy ; ces pièces étant aujourd'hui pour un grand nombre d’entre elles au Musée d’Archéologie nationale de St Germain-en-Lay. Cette rencontre fut probablement une confirmation de la voie qu'il se traçait.
Breuil fut ordonné prêtre le 23 décembre 1900 à Saint-Sulpice. Il obtiendra l'autorisation de pouvoir se consacrer entièrement à son activité de préhistorien. Cette particularité de ne pas exercer de ministère paroissial lui fut souvent reprochée, et il dut tout au long de sa vie rappeler cette autorisation officielle de ses pairs et la profondeur de sa vocation.
Il est au séminaire au début de la crise moderniste qui marquera la première décennie du XXe siècle.
Les Modernistes, appliquant la méthode de la critique historique, mettent en cause l’historicité des récits de la Bible et de l'Évangile.
On a donné à Alfred Loisy l'image de porte-parole des idées modernistes. À cet égard, sa phrase « Le Christ a annoncé le Royaume, mais c'est l'Église qui est venue » est souvent citée, sortie du contexte général d'une œuvre moins contestataire que cette seule formulation.
Il s'éleva néanmoins contre ce suivi aveugle et sans volonté de compréhension de la religion.
« Le croyant ancien est avant tout un homme qui se confesse....... et d'autant plus souvent même qu'il se permet moins les actions que la morale catholique regarde comme des péchés.…..C'est un homme qui pratique l'obéissance intellectuelle, admettant en principe tout ce que l'Église enseigne, et acceptant sans examen tout ce qu'il connaît de cet enseignement …..…..C'est un homme dont toute l'activité se trouve ainsi réglée par une autorité extérieure, et qui n'a pas souci de penser par lui-même …. »
En 1902, A. Loisy fit paraître L'Évangile et l'Église qui s'élève contre L'Essence du Christianisme du théologien protestant Von Harnak. Néanmoins, cet ouvrage fit scandale par la hardiesse des thèses développées et Loisy fut excommunié par le Pape Pie X. Loisy enseigna par la suite l'histoire des religions au Collège de France.
Jean Guibert, le professeur d'histoire naturelle d’Henri Breuil au séminaire s'attacha à défendre l'église catholique pendant cette mauvaise période pour le catholicisme, donnant à ses élèves au travers de ses publications le principe que la science et la foi n’étaient pas incompatibles mais de deux ordres différents.
Henri Breuil restera-t-il fidèle à cette position de son maître ? Filialement, oui. Mais très avide de modernité, il s'offusqua de la condamnation d'Alfred Loisy sans pour autant s'en faire un porte-parole. C'est d'ailleurs dans cette position que c'est souvent trouvé Henri Breuil : toujours à la limite de la sanction.
La découverte et l’étude des grottes de Combarelles et de Font-de-Gaume (1901) fut le premier grand exploit scientifique d’Henri Breuil.
Puis il eut une belle occasion de s'opposer à Gabriel de Mortillet et à ses disciples qui commirent deux erreurs importantes : la négation de l’authenticité des magnifiques peintures de la grotte d'Altamira (Espagne), et plus généralement de l’art pariétal paléolithique, et le respect absolu d’une chronologie des industries du Paléolithique supérieur excluant l'Aurignacien, car n’entrant pas dans leur schéma d’une évolution linéaire.
Breuil devient alors le fer de lance de nouveaux paradigmes, redéfinissant cette notion d’évolutionnisme linéaire de la préhistoire et les méthodes de recherches. Avec Louis Capitan, Marcellin Boule, Émile Cartailhac et l'abbé Hugo Obermaier, il impose ainsi l’existence et l'importance de l'art pariétal dont la beauté même des œuvres les faisait mettre en doute (Cartailhac qui avait réfuté l'authenticité des peintures de la grotte d'Altamira fit donc un joli revirement!).
Il s'oppose donc à Mortillet et à ses élèves, à sa classification chronologique et au dogmatisme à l’égard de l’art pariétal. Il impose une nouvelle chronologie du Paléolithique supérieur intégrant une culture aurignacienne présolutréenne. Ce fut une belle bataille de savants, connue sous le nom de « bataille Aurignacienne ».
L'affirmation de l'authenticité des peintures et fresques des grottes des Combarelles et de Font-de-Gaume fut un tremblement de terre dans le monde des préhistoriens.
« Il paraît hors doute que ces figurations dont la haute antiquité ne peut être mise en doute et n'ont pu être exécutées que par des artistes reproduisant les animaux qu’ils voyaient....Elles sont donc du Paléolithique et très vraisemblablement magdaléniennes » (H. Breuil, Dr Capitan 1901)
Le Prince Albert Ier de Monaco, tenu au courant des relevés et dessins rupestres d'Henri Breuil ira visiter en sa compagnie Altamira et plusieurs sites espagnols en 1909. Séduit par la beauté de ces peintures, admiratifs du travail effectué par Breuil accompagné d'Obermaier, il deviendra un mécène précieux pour la suite des projets de l’abbé et prendra à sa charge tous les frais de ses recherches et ses publications. H. Breuil participera par la suite à la création de l’Institut de paléontologie humaine, premier centre de recherche au monde entièrement dédié aux sciences préhistoriques, créé en 1910 à l’initiative du Prince.
En 1906, Breuil est nommé professeur de Préhistoire et d’Ethnographie à l'Université de Fribourg où il enseignera 5 ans. Il sillonne néanmoins les sites et grottes de France et d'Espagne et publie à partir de 1906 son œuvre importante sur Altamira avec l'aide financière du Prince Albert Ier.
En 1910, il quitte son poste de Fribourg pour intégrer l’Institut de paléontologie humaine comme professeur d’ethnographie préhistorique. Sa carrière est alors lancée. Il parcourt l'Europe, en Angleterre, en Europe centrale et surtout en Espagne. Il y étudie beaucoup de sites préhistoriques, en fait les relevés des fresques et peintures. Il obtient de ces pays beaucoup de titres honorifiques. Ses recherches dans la péninsule ibérique sont nombreuses et il y accueille des chercheurs du monde entier, dont le père Teilhard de Chardin dont il avait fait la connaissance dans le laboratoire de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle. Mais les Espagnols finirent néanmoins par arrêter leur collaboration avec le prêtre français et se passeront de cette concurrence à leurs propres recherches.
En 1929, il est devient le premier professeur de préhistoire du Collège de France. Cette même année, il se rend en Afrique du Sud pour la première fois. Ce séjour sera suivi de trois autres : 1942-1945, 1946-1947, 1950-1951.
Jusqu'en 1940, Breuil va continuer à parcourir le monde et la France, dont la région de Carnac chaque année à partir de 1934 en compagnie de Zacharie Le Rouzic, et à étudier un très grand nombre de sites et de collections préhistoriques. Son activité est alors variée et considérable. Entre autre rencontres, il eut l'occasion de naviguer sur le boutre d'Henri de Monfreid et de mener des prospections en sa compagnie en Éthiopie. Teilhard de Chardin ayant permis cette étonnante collaboration entre l’abbé et l’aventurier.
En 1940, Breuil tente de rencontrer le maréchal Pétain afin de lui faire savoir son opposition aux idées de Vichy et au choix de Laval dans son gouvernement.
En 1941 1942 il est au Portugal et au Maroc, puis se rend à partir de 1942 en Afrique du Sud à l’invitation du Premier ministre de ce pays. De 1946 à 1951 il retournera en Afrique australe avec quelques étapes en France. Mais à cette époque, ses recherches deviennent pénibles par l'âge et sa vue déficiente.
Puis à son retour définitif, tout est devenu bien différent. Autant au début de sa carrière dans les toutes premières années du vingtième siècle, les fouilles et recherches préhistoriques étaient libres, ne nécessitant aucune autorisation de quelque organisme que ce soit, autant dès 1941 l’archéologie est organisée. Le CNRS est créé en 1939 et se voit attribuer pendant la guerre des compétences scientifiques dans le domaine de l’archéologie. Le ministère de la culture par la loi Carcopino régule et encadre la pratique des fouilles avec de nouveaux acteurs. La professionnalisation de l’archéologie préhistorique est actée.
Autant Breuil s'épanouira dans la première période, autant dans la seconde il éprouvera quelques difficultés à retrouver une place.
Henri Breuil aura donc connu cette période de totale liberté et la période de la préhistoire organisée en termes de recherche et de diffusion des connaissances de la préhistoire. Son œuvre est immense.
Il aura énormément contribué à cette régulation et à l’institutionnalisation de la connaissance et de la recherche scientifique de la préhistoire.
Il décédera le 14 aout 1961 dans sa propriété de L'Isle Adam.