Origine et évolution du Mégalithisme méditerranéen


Conférence par André D’Anna
Directeur de Recherche au CNRS, Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique, UMR 7269
Aix-Marseille Université, CNRS, Ministère de la Culture
Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme
5 rue du Château de l'Horloge - BP 647 - F-13094 Aix-en-Provence Cedex 2
danna@mmsh.univ-aix.fr

On considère actuellement que le mégalithisme méditerranéen montre par rapport au domaine atlantique une certaine originalité : d’une part il est chronologiquement plus récent et d’autre part il s’élabore dans une ambiance souterraine avec les hypogées, les grottes, les fosses, à l’inverse des grands dolmens aériens.
Dans ce cadre, on discute entre la possibilité d’une invention dans une région limitée puis diffusée ou de l’existence de plusieurs centres d’origine.
Depuis longtemps, on considère que sur notre territoire national, il y a en effet un centre principal d’origine dans l’ouest dont dépendent peu ou prou toutes les autres manifestations régionales et en particulier celles bordant la Méditerranée (L’Helgouac’h 1979, Renfrew 1983, Joussaume 1985, Masset 1997), cette opinion a cependant été discutée (Guilaine 1998).
Ainsi, si l’on examine au plus près les données disponibles dans le Midi méditerranéen et dans les domaines insulaires, principalement la Corse et la Sardaigne, on constate que les processus d’apparition et de développement des monuments mégalithiques sont manifestement plus complexes. Ici, l’installation du Néolithique est ancienne; les sociétés agro-pastorales apparaissent dès le VIe millénaire témoignant d’une colonisation maritime polymorphe. Dans les premières phases du Néolithique le mégalithisme est en effet absent. Puis c’est vers le milieux du Ve millénaires qu’apparaissent les premières architectures mégalithiques : Funéraires ou non, elles semblent correspondre à des édifices dont la vocation première est bien d’établir une mémoire. Dans ce sens elles sont réellement monumentales selon la définition établie à partir des sites bretons (Cassen 2009). Elles contribuent à transmettre à la postérité le souvenir d’une personne (ou d’un groupe) ou d’un évènement. Mais dans un même temps les significations sont plus complexes puisque les monuments expriment également une certaine ostentation liée à la richesse, à la possession de territoires et témoignent des relations groupe humain/espace qui sont inscrites dans le temps puisque le groupe et son territoire sont liés aux fondateurs (Guillaud 2008).
Dans le Midi de la France, ce processus commence très probablement avec des tombes signalées dès la fin du Néolithique ancien (Pendimoun, Grotte Gazel, Col Sainte-Anne). Puis, pendant le Ve millénaire, les sépultures expriment une volonté de pérénité et de monumentalisation avec l’utilisation de grandes pierres constituant des coffres (Caramany, Marseille Saint-Jean-du-Désert, Béziers/Le Crés) ou d’autres types d’organisations plus difficilement perceptibles (Le Gournier, Villeneuve-Tolosane, Saint-Michel-du-Touch). A la fin du Néolithique, pendant le IVe millénaire et le IIIe, ce sont les sépultures collectives qui vont être le plus clairement associées à des monuments funéraires de différentes natures parfois de très grandes dimensions (hypogées, différents types de dolmens).
Nécropole de coffres de Li Muri (Nord Sardaigne)
Dans les milieux insulaires, la Corse et la Sardaigne principalement, on peut suivre plus précisément l’apparition et l’évolution du phénomène. La chronologie du mégalithisme y a été établie précisément depuis peu à la suite de fouilles récentes. De grandes nécropoles de coffres apparaissent pendant le Ve millénaires dans le nord de la Sardaigne (Li Muri)


Les pierres dressées de Renaghju et I Stantari à Cauria (Corse)
et en Corse, principalement dans le sud de l’île (Vasculacciu, Tivulaggiu, Poghjaredda) mais également dans le nord ou les architectures semblent plus diverses (Monte Revincu). Dans le même temps apparaissent très tôt des monuments de pierres dressées (Renaghju et I Stantari à Cauria) dont l’implantation sur des sites d’habitats plus anciens témoignent du rôle de commémoration des ancêtres.Ainsi à Renaghju, le premier monument est clairement implanté sur une maison du Néolithique ancien dont il reproduit sensiblement le plan. On remarque que tous ces monuments, sépultures en coffres et files de pierres dressées, s’exposent de manière aérienne et ne sont donc pas liés à un domaine souterrain. C’est en Sardaigne qu’apparaissent au même moment des tombes en fosses architecturées qui évolueront vers les grandes hypogées.
On constate ainsi que tant dans le midi de la France que dans les îles, l’apparition du mégalithisme est aussi ancienne que dans l’ouest ; certes ici les monuments sont plus modestes en dimensions mais leur signification socio-économique est la même. Les évolutions, seront par la suite extrêmement diverses, témoignant, selon les régions, de la spécificité des phénomènes insulaires par rapport aux contextes continentaux.
L’ensemble de ces constats confirment que ces sociétés existaient en fonction de références à leur passés et à leurs origines et que ces références sont inscrites dans l’espace, matérialisées en symboles qui vont constituer des marqueurs territoriaux. Les monuments en pierres, constructions durables, stables et solides constituent autant de signes d’appropriation d’espaces qui deviennent des territoires.