PIERRES DRESSSES DE LA RIFT VALLEY EN ETHIOPIE
DU XI è SIECLE AU XIV è SIECLE DE NOTRE ERE

  par Roger Joussaume
directeur de recherches émérite au CNRS
consultant international à l'UNESCO pour le mégalithisme


L'Ethiopie se situe dans le Corne de l'Afrique, partageant ses frontières avec l'Erythrée au nord, le Soudan à l'ouest, le Kenya au sud, Djibouti au nord-est, la Somalie à l'est, et n'a donc pas d'accès direct à la mer. Sa superficie équivaut à deux fois celle de la France.
En dehors des plateaux de l'est et de la dépression du désert Danaki plus au nord, l'Ethiopie est un pays montagneux, découpé, et nivelé (la plus haute montagne atteint 4 533m), ce qui lui vaut, à cette latitude, de ne pas être désertique. Un grand nombre de cours d'eau sillonne les hauts plateaux, dont le Nil bleu qui s'écoule depuis le lac Tana.
L'activité volcanique a formé cette région il y a environ 40 millions d'années. Des failles profondes se sont ouvertes dans la roche et les couches sédimentaires laissant la lave basaltique recouvrir la terre.
La Rift Valley est un énorme fossé techtonique traversant tout le pays.

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Roger Joussaume travaille en Afrique de l'est depuis de 35 ans, et a contribué à faire inscrire le site de Tiya sur la liste du patrimoine mondial par l'UNESCO dès 1980.
Déjà entre 1921 et 1926, le père François Azaïs et Roger Chambard effectuèrent plusieurs missions concernant 10 000 pierres dressées.

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Au nord de l'Ethiopie, les stèles monolithes de la civilisation d'Axoum devaient signaler des sépultures. Ces stèles protohistoriques sont énormes (la plus grande dépassait 33m et pesait 6 00 tonnes).
Les sites qui sont étudiés depuis 1976 sont Gatira Dema – Tiya  - Ofa Sere  - Tuto Fela  - Tité.
                                                                                                                       
     
DANS LE SODDO

A – LE SITE DE TIYA
A une centaine de kilomètres de la capitale Addis-Abeba (qui signifie nouvelle fleur), se trouve un cimetière qui est étudié depuis 1982. Il s'est développé  d'est en ouest. Une quarantaine de stèles, dont la plus haute atteint 5m, marquent des tombes circulaires qui sont devenues rectangulaires au XIII siècle lors de l'évangélisation. Elles pouvaient contenir jusqu'à trois individus posés sur le fond, parfois en position assise. Des tombes ont été  ajoutées en arrière des premières.



La plupart de ces stèles sont décorées d'épées en champlevé, au nombre variable, au dessus d'un ensemble d'éléments comme deux disques, figurant probablement des seins d'hommes; des éléments en W, représentation végétale.
Certaines stèles présentent une perforation basale qui a un sens plutôt symbolique que technique (étant difficile à réaliser). Peut-être un lien entre le monde des morts et le monde des vivants.

B  -  LES STELES ANTHROPOMORPHES

L'exemple d'Osolé
Une pierre de deux mètres en doriolite, décorée de deux épées, de deux seins ronds (attributs masculins), et d'une représentation végétale en W. Le visage est cloisonné. La stèle pourrait représenter un petit roi local.                                                                                                                  
L'exemple de Gorashino
La stèle représente une femme : figuration de seins pendants et pagne.


DANS LE SIDAMO

L'altitude moyenne est de 2 000m. Ici, les pluies sont abondantes toute l'année permettant aux caféiers de pousser naturellement. Les stèles se trouvent donc dans un environnement verdoyant.

A  - LE SITE DE TUTO FELA   ( étudié en 1993 et 1998)
Un tumulus avec ses 320 stèles se trouvant à tous les niveaux, certaines dans le masse du cairn. Pourquoi ?

 

  Il y a eu une addition d'un grand nombre de petits cairns avec leurs propres stèles : c'est ce que nous voyons aujourd'hui. Dans cette masse, des corps ont été enterrés aussi sans stèle. Les stèles qui sont phalliques sont de culture ancienne. Une culture plus récente s'est réappropriée certaines d'entre elles, comme les stèles phalliques à croisillons, et les stèles phalliques anthropomorphes à croisillons  (le musée de Francfort, en Allemagne, possède de beaux exemples de ces stèles).



                                                                                                           

Au pied d'une stèle antropomorphe, des squelettes ont été retrouvés.
De nombreuses poteries sont associées à ces tombes.

Les tombes en « chaussette »
Cette expression imagée définit bien les tombes du niveau inférieur de Tuto Fela, puisqu'elles sont faites d'un puits circulaire creusé dans un sol qui donne accès à une cellule latérale, légèrement oblique, contenant le squelette. Dans un espace vide, le corps, couché sur le côté en position fléchie, était protégé du remplissage de pierres du puits par d'autres pierres plus grosses, ou par une fermeture souvent en bois de genévrier.
Les tombes de ce type se trouvent en grand nombre en Afrique de l'est à différentes époques : celles des anciens Axoumites, celles actuelles des Oromos, par exemple.


B  - LE SITE DE TUTITTI – CHELBA   ( étudié en 2008 et 2009)

1 500 pierres étaient dressées à l'origine. 70 d'entre elles ont été redressées.
Des stèles phalliques mesurent jusqu'à 6 ou 8 m de haut.  

                                                                                                                                                                                            
   Ces stèles se présentent légèrement enfoncées dans le sol avec un calage, effectué avec des fragments d'obsidienne, du côté de la pierre qui a glissé dans le trou. Elles étaient peintes en rouge.
Le décor des stèles est particulier et correspondant au décor végétal trouvé précédemment sur le site de Tiya : il y a donc une continuité.
Sur presque tous les sites où il y a des stèles, se trouve un tumulus. Celui-ci sera étudié en novembre 2010. La datation reste à faire aussi.
A quoi servaient ces stèles n'ayant aucune sépulture ni aucun puits en association ?


 AUJOURD'HUI
Au sud au lac Chamo, tout près du Kenya, le petit peuple des Konso continue, de nos jours, à dresser des stèles dans un but funéraire.
Les villages sont installés sur les hauteurs et sont entourés de murailles en pierres sèches. Certains d'entre eux peuvent regrouper jusqu'à 2 000 personnes. Chaque village est autonome. Les hommes sont divisés en classes d'âge aux rôles spécifiques : les jeunes sont chargés de l'entretien et de la défense du site, les moins jeunes s'occupent de l'administration, et les anciens sont les conseillers. Il n'y a pas de chef. Les agriculteurs et les éleveurs forment la classe dominante par rapport aux artisans : potiers, tisserands, fabricants d'outillage en métal.
Les individus les plus méritants ont droit à des tombes particulières, les dega diruma. Ces hommes ont soit tué un ou plusieurs ennemis, soit occis un lion ou une panthère voire un buffle. Ces tombes de héros sont situées à l'entrée des villages accompagnées de statues en bois qui disparaitront. Ce sont les enfants du défunt qui choisissent les statues. Exemple de statues : celle du défunt entourée des ennemis qu'il a tués, des ses épouses, de ses enfants. Cependant, ces statues ne sont pas l'offrande principale de la population du village qui montre sa reconnaissance au défunt par la stèle. Avant d'être inhumé, le défunt a été momifié depuis 8 à 12 mois, par les artisans qui ont cette  charge au sein du village. Le corps est ensuite descendu dans un puits à l'aide d'une corde qui sera attachée à la statue de bois représentant le défunt. Le puits est alors rebouché.
Un peuple voisin, les Gédéo, représente l'homme valeureux défunt par une statue portant sur la tête un objet en forme de phallus. Cette symbolique masculine d'autorité se perpétue aujourd'hui. Quelques grands dignitaires arborent encore cette attribut sur le sommet du crâne à quelques occasions.

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Ces populations animistes croient en un dieu unique appelé Waka. Leur conception du monde est à trois niveaux comme la pensée indo-européenne. En somme, leur conception de la vie et de la mort est la même que la nôtre...

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Cette approche ethnologique des peuples dressant encore des pierres à notre époque est intéressante. Elle peut aider à l'interprétation des stèles dressées antérieurement, du XI au XIV siècle de notre ère, dans la Rift Valley.