QUAND LES ARCHÉOLOGUES VONT À LA PLAGE.…


Conférence donnée le 18 juin 2015 par
Marie-Yvane Daire
Archéologue, Directeur de recherche au CNRS
Centre de Recherche en Archéologie, Archéosciences, Histoire (CReAAH)

Cette conférence a présenté divers aspects des recherches archéologiques conduites sur les îles et le littoral de Bretagne : la richesse d'un patrimoine diversifié et parfois insoupçonné, mais aussi la vulnérabilité de certains sites, et les enjeux de leur sauvegarde ou de leur étude qui ressemble parfois à une course contre la montre, face aux pressions climatiques et anthropiques croissantes. 


Sur le littoral, un patrimoine culturel riche et diversifié 
L’ouest de la France possède un très long linéaire côtier, y compris celui des îles et îlots, qui recèle les restes d’occupations humaines dont les plus anciennes remontent à la Préhistoire et les plus récentes datent de l’époque moderne : des abris et campements du paléolithique monuments mégalithiques, établissements néolithiques et protohistoriques, dépôts lithiques, ateliers de bouilleurs de sel pré-romains, ermitages et chapelles du haut Moyen Âge, pêcheries de toutes époques, etc… 

Le paysage côtier de la Bretagne est diversifié, du fait de conditions en constante évolution depuis des milliers d’années, de sorte que la plupart des îles aujourd'hui proches de la côte n’étaient, au début de l'Holocène, que des collines s’élevant audessus de vallées côtières. Au cours de l'Holocène, le niveau de la mer a augmenté à un rythme irrégulier. Le consensus scientifique général aujourd'hui soutient que, à la fin du Mésolithique (5e millénaire avant notre ère), le niveau marin était 10 mètres plus bas que l’actuel. En raison de l'élévation du niveau de la mer, les grandes îles de Bretagne se sont progressivement séparées du continent. Schématiquement, les bâtisseurs de monuments mégalithiques du Néolithique ont érigé des tombes collectives monumentales sur le sommet des collines côtières (aujourd’hui des îles), comme par exemple à l’île Guennoc (Landéda) sur la côte nord ou à l’île aux Moines et Gavrinis sur la côte sud. Pendant les périodes suivantes, le paysage maritime montre des différences oins importantes par rapport à la situation actuelle, avec une hausse moyenne du niveau de la mer évaluée à 2 mètres depuis la fin de l'âge du Fer. 

Cette richesse patrimoniale et scientifique, a suscité, depuis plusieurs décennies des programmes de recherche collaboratifs dédiés à la recherche archéologique côtière et insulaire, coordonnés depuis près de trois décennies au sein de l’AMARAI. Ainsi le travail de fond comprend des inventaires systématiques (île de Groix, Ouessant, Batz…) ou thématiques (églises des îles, pêcheries de Bretagne…) ainsi que des opérations plus ponctuelles (sondages ou fouilles archéologiques) sur certains sites archéologiques. 

  
L'ile aux Moutons
Fouesnant (Finistère)
   Dans le paysage maritime de la Bretagne, les îles sont aujourd'hui souvent considérées comme des réserves archéologiques, ce qui permet un large éventail de la recherche en raison des conditions de conservation des vestiges. L’isolement des petites îles ou les difficultés d'accès sur les îlots constituent souvent une protection contre les menaces telles que l'agriculture intensive ou les infrastructures touristiques. L'absence de labour est un avantage important pour la préservation des vestiges archéologiques, puisque cette activité est une cause majeure de la destruction de la surface de niveaux archéologiques dans les zones agricoles. 



pêcheries du Petit Taureau à
 Servel-Lannion (Côtes d’Armor)


fouilles en cours sur le site
de Port-Blanc à Hoedic (Morbihan)
La préservation du patrimoine archéologique insulaire est souvent renforcée lorsque s’applique un statut de réserve naturelle. Exemples de sites côtiers : île aux Moutons, Fouesnant (Finistère)  cl. M.Y. Daire), pêcheries du Petit Taureau à Servel-Lannion (Côtes d’Armor) cl. LAngouët et Mahéo), fouille en cours sur le site de Port-Blanc à Hoedic (Morbihan) (cl. M.Y. Daire). 








De la vulnérabilité des sites archéologiques côtiers 

Toutefois, cette situation apparemment idéale est compensée par le fait que les zones côtières, dans leur ensemble, y compris les îles et îlots, sont de plus en plus touchées par les effets des changements climatiques actuels et l'élévation relative du niveau de la mer, qui conduisent à une accélération de l'érosion côtière. Cette érosion affecte non seulement l'environnement naturel, mais aussi le patrimoine archéologique (monuments, ruines, anciens amas de coquillages, dépôts d'artefacts, tombes, etc.) menacés de disparition sans aucun espoir de résilience. 


Dans l'évaluation de la vulnérabilité du patrimoine côtier et insulaire, il faut également tenir compte de certains types de pressions anthropiques, par exemple les conséquences directes d’opérations de nettoyage de nappes d'hydrocarbures (Amoco Cadiz en 1978, l'Erika en 1999, etc), les pelles mécaniques ayant pu endommager (sans le savoir) des restes ou monuments situés sur l’estran. De nombreux sites archéologiques insulaires sont ainsi menacés de destruction plus ou moins rapide, à l’échelle de quelques décennies, voire quelques années ou semaines. 
La richesse du patrimoine de ces îles, combinée à leur vulnérabilité évidente, attire depuis plusieurs années l’intérêt des archéologues sensibilisés à cette problématique, et les incite à prendre en compte la vulnérabilité des zones côtières et insulaires pour évaluer l'impact sur le patrimoine, afin d'étudier les sites menacés avant leur destruction complète et de proposer des solutions de protection (matérielle) lorsque cela est possible. 

Né de ce constat, le projet de recherche « ALeRT » (Archéologie, Littoral etRéchauffement Terrestre), dédié à la vulnérabilité du patrimoine culturel côtier et insulaire par rapport aux changements climatiques (érosion, l'élévation du niveau de la mer, etc.), met en oeuvre une approche multidisciplinaire sur les thématiques suivantes : 
- un inventaire du patrimoine archéologique du littoral menacé ; - la construction d'un modèle de la vulnérabilité de ce patrimoine, prenant en compte la nature de l'environnement et les indicateurs dynamiques de son évolution (passée, présente et future); 
- l'évaluation des stratégies de recherche et d'action adaptées aux différentes échelles concernées (régional, local et spécifique) ; 
- l'établissement de cartes indiquant les niveaux de vulnérabilité du patrimoine côtier, qui pourrait non seulement fournir des outils de recherche pour les scientifiques, mais aussi aider à la gestion intégrée des zones côtières. 

Le projet ALeRT est développé depuis 2006 par un groupe de chercheurs (archéologues, géographes, géomorphologues) investis dans les recherches en archéologie littorale et sensibilisés à la fragilité du patrimoine littoral, côtier et insulaire. 
Très rapidement, ce groupe a développé une approche interdisciplinaire visant à l’élaboration d’un « modèle de vulnérabilité » du patrimoine culturel côtier, à travers une évaluation normalisée des risques, l’élaboration de cartes de vigilance et la mise en place de stratégies de recherche et d’action adaptées aux différentes échelles (du local au régional). 

Le premier résultat a été l’élaboration d’un outil dédié, permettant d’évaluer la vulnérabilité des sites, sous la forme d’une grille d’évaluation normalisée et suffisamment simple pour être utilisable par différents types d’opérateurs (VEF = Vulnerability Evaluation Form). Cet outil a été testé et appliqué sur un certain nombre de sites de l’Ouest de la France (notamment dans le cadre d’un partenariat avec le Conservatoire du Littoral et les gardes du littoral) ainsi que dans d’autres pays européens. Plus récemment, une démarche participative est engagée, permettant aux chercheurs mais aussi aux bénévoles de travailler en lien avec les archéologues. Afin de permettre aux observateurs de terrain de renseigner les informations concernant les sites menacés, une version web dédiée a été développée, sous la forme d’une base de données interactive. 

Plus récemment, la démarche a été élargie par la création d’une version mobile pour Smartphone ‘ALeRT Mobile’ qui intègre, d’une façon claire et simple, la grille d’évaluation de la vulnérabilité et la base de données. Nous ne pouvons que souligner et rappeler ici l’importance de ces réseaux de bénévoles sillonnant le terrain et, en l’occurrence, les côtes, de manière régulière et notamment à la suite d’épisode de tempête


Carte de vulnérabilité des sites archéologiques du secteur de l’estuaire de la Vilaine (Morbihan)
(doc. Daire, López-Romero et Olmos).
Parallèlement, un certain nombre de sites font l’objet d’une surveillance accrue, sous la forme d’un suivi archéologique régulier (l’île de Triélen, dans l’archipel de Molène, par exemple) tandis que d’autres font même l’objet de sondages voire de fouilles archéologiques permettant de recueillir les informations avant la disparition totale du site (à Dossen Rouz, dans le Trégor par exemple).



Le site gaulois de Dossen Rouz à Locquémeau-Trédrez (Côtes d’Armor),
en cours de fouille (cl. M.Y. Daire). Au premier plan : four à sel.

Un remerciement tout particulier à Marie-Yvane Daire pour la qualité de l'article qu'elle a pris le temps de nous fournir, illustrations comprises. 
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