En Aveyron, c’est entre -3500 et -2500 que s’installe la phase la plus active du mégalithisme, et le phénomène se prolongera jusque vers -1500. Cette durée et son intensité font du département le plus riche de France en dolmens. Ici, la forme la plus courante est celle d’un caveau de plan quadrangulaire délimité par deux piliers latéraux entre lesquels une dalle de fond est engagée à une extrémité. Une dalle de couverture de 10 à 40 tonnes scelle le tout, et l’accès est le plus souvent vers l’Orient. La répétitivité de ces architectures livre une dimension symbolique du lieu où la mort revêt son caractère transitoire vers un au-delà.
Mais le dolmen est bien à l’image de ce qui subsiste du passé, il n’est que la partie centrale d’un ensemble de plus vastes proportions. Le caveau de “grosses pierres” était englobé dans une enveloppe protectrice, le cairn, qui le recouvrait entièrement, et c’est ainsi une architecture bien plus spectaculaire qu’il faut concevoir, dont la monumentalité en fait un élément clé d’un paysage social et révélateur de l’appropriation de l’espace. C’est la maison des morts, mais sa visibilité suggère autour d’elle la constitution des territoires au sein desquels des communautés usent des terroirs aux ressources variées. Il y a certes d’autres lieux pour les morts, à la fin du néolithique et au début de l’âge des métaux, telles les cavités naturelles, mais hors du champ visuel, à la différence des dolmens. Faut-il voir là un signe de distinctions sociales ? Les différentes enveloppes protectrices des cadavres sans nul doute traduisent des relations variées entre morts et vivants.
La localisation des dolmens est aussi instructive, même si de nombreuses destructions ont effacé bien des traces. On pressent une certaine cohérence des emplacements, en tout cas l’étude des matériaux de construction révèle souvent le choix d’implantations appropriées avec des dalles qui ont été transportées parfois sur plusieurs centaines de mètres. La grille de lecture des localisations peut être celle de la complémentarité des terroirs au sein de territoires, qui depuis le néolithique constituent nos paysages au gré de leurs variations. Cette maîtrise de l’espace rend la cohérence communautaire indispensable, le souci du lendemain ne peut que renforcer un lien tenace avec les ancêtres, et ainsi le dolmen peut être considéré comme un marqueur territorial qui par sa monumentalité exprime le souhait de pérennité des hommes dans leurs territoires.
Mais bien des mystères demeurent et fort heureusement la place au rêve reste. Géants et fées peuplent de leurs légendes ces ruines et l’on entends encore d’étranges récits : “ Au Viala du Pas de Jaux, on s’empara d’une fée près du dolmen des Fadarelles où elle mettait ses bas rouges. On la captura et on l’enferma dans une maison. Au cours de la même journée, une seconde fée se présenta sous les fenêtres de la maison où était enfermée sa compagne,elle lui lança : "Garde-toi de vendre le secret de la sauge, car si les riches le savaient, ils laisseraient mourir de faim les pauvres...” (Michel Virenque, Des monuments dits celtiques et les légendes populaires du canton de Cornus , 1868-1873)
Rémi Azémar
Saint Symphorien de Lévézou