CARNAC, ETAT D’UN LIEU


par Serge CASSEN
UMR6566 (CNRS, Ministère de la Culture, Universités Rennes 1, Rennes 2, Nantes)
Laboratoire de Préhistoire et Protohistoire de l'Ouest de la France


Avant-propos
1. L'état ou la manière d'être d'une chose, d'un paysage habité.
2. Le mot stèle a été choisi plutôt que menhir, pierre longue en breton, qui peut s'appliquer à des formes rocheuses naturelles, et qui ne présume en rien une position érigée ni une intervention humaine.
La stèle, dont la racine proto-indo-européenne signifie « être debout », est un monument monolithe placé en position verticale. Elle peut être sculptée, peinte ou porter des inscriptions. Ce mot recouvre les autres termes employés par les archéologues : proto-menhir, statue-menhir, bétyles,etc.
De nos jours, les enseignes verticales et voyantes des immenses magasins situés à la périphérie des villes peuvent être considérées comme des stèles.
Les images correspondant au whisky Clan Campbell dans les campagnes publicitaires « Au cœur des terres du Clan Campbell », jouent sur la notion d'origine et de mystère... Exemple : une bouteille de whisky, petite stèle, trônant à côté d'un champ de menhirs.
Quant à la présentation d'un autre whisky, Ballantines, une image montre une « barre » de flasques comme une barre de stèles.

INTRODUCTION
Bref historique

1. Descriptions et recherches archéologiques effectuées en ce lieu
Il n'y a aucune trace de relevés ou de fouilles avant le XVIIIe siècle. Il faut attendre le début du XIXe siècle avec Fréminville en 1824, puis Closmadeuc en 1865. A cette époque, déjà un millier de stèles détruites était répertorié (les monuments restant aujourd'hui ne sont donc pas représentatifs de la cartographie néolithique). L'État achète alors des terrains pour sauvegarder une partie des monuments sous l'égide de Prosper Mérimée. A la fin du XIXe, et au début du XXe siècle, notons les travaux de Miln poursuivis par ceux de Le Rouzic.
La dernière fouille archéologique, dans les alignements, remonte aux travaux commandés en 1940 à Hans Reinerth pour les besoins idéologiques du IIIe Reich. Des archives ont été retrouvées à Berlin.

2. Explications de l'origine et de la raison de cette architecture
Les thèmes du mythe d'un savoir perdu, l'impression que Carnac n'est pas une œuvre humaine (comme pour le site de Stonehenge en Grande Bretagne) sont récurrents dans la littérature. Il y a un balancement entre l'humain et le non humain...
Beaucoup de théories émises à ce jour sont insatisfaisantes, voire fantaisistes parfois, comme celles d'un temple, d'un cimetière, d'un observatoire astronomique, d'un camp militaire, d'allées cérémonielles, d'hommage aux ancêtres, etc.

3. Notre point de départ
C'est un chantier de fouille, dirigé par Jean L'Helgouac'h, situé non loin de Carnac, à Locmariaquer, sur lequel nous sommes intervenus de 1986 à 1994 pour interroger le dolmen de la Table des Marchands avant que la Caisse des monuments historiques ne restaure le site et ne présente l'ensemble du monument au public. Pour plus d'informations, consulter l'ouvrage collectif « Autour de la Table. Explorations archéologiques et discours savants sur des architectures néolithiques à Locmariaquer, Morbihan (Table des Marchands et Grand Menhir). Actes du colloque international, Vannes (Morbihan), 5-7 oct 2007 (UBS, campus de Tohannic).

En résumé, trois faits archéologiques frappants caractérisent le site étudié :
1. Vers le milieu du Ve millénaire avant J-C, un ouvrage important de pierres dressées avec un élément majeur, le Grand Menhir, a été construit ;
2. Au début du IVe  millénaire avant J-C, quelques unes de ces pierres ont été intégrées dans la construction de la tombe à couloir ;

 3. L'utilisation d'une table de couverture comme élément de la tombe ; cette table en orthogneiss et les symboles gravés établissent un lien évident avec les autres stèles intactes ou brisées de la presqu'île de Locmariaquer et le cairn édifié sur l'île de Gavrinis ; là, une seconde dalle au profond de la chambre funéraire prouve le réemploi des anciennes pierres dressées distantes de 3 km.
Cette conjonction n'est pas unique, et elle est d'ailleurs reconnue en plusieurs secteurs d'Armorique, mais elle est singulièrement présente dans le secteur de Carnac.

L'interprétation du Grand Menhir ou de la dalle de couverture de la Table des Marchands revient à résoudre une formule architecturale complexe dans son dépouillement. A partir de cet alignement fantôme, revenons à Carnac. Car la coexistence des alignements du Menec avec le tumulus Saint Michel ( à imaginer sans les pins et la végétation actuels), les quatre lames de haches en jadéite retrouvées en 2008 sur la plage du Petit Rohu à Saint-Pierre-Quiberon lors d'une grande marée, laissent pressentir un lien entre tous ces éléments.

Certes, le vocabulaire manque et la tâche est difficile. Il s'agira d'énoncer une équation et de nommer les inconnues.

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PROGRAMME IDEAL DE RERCHERCHE ET PISTES DE REFLEXION

I. L'objet de la recherche
             1. Une question épistémologique
A l'instar du fonctionnement de toute discipline, il est nécessaire de repenser les concepts, de renouveler les théories.
Abordons le phénomène d'une autre manière, plus sensible, dans « l'intuition travaillée ».
Ne pas hésiter à croiser les regards des archéologues avec ceux des écrivains, des philosophes, des anthropologues qui ont parfois des intuitions fulgurantes en mettant en exergue les invariants du comportement humain.
Carnac, une production humaine, c'est-à-dire symbolique.

« Il n'est pas apparu dans le monde une pensée un peu compliquée qui ne se soit faite édifice... Et pourquoi ? C'est que toute pensée, soit religieuse, soit philosophique, est intéressée à se perpétuer,c'est que l'idée qui a remué une génération veut en remuer d'autres, et laisser trace. »
(Victor Hugo, Notre Dame de Paris, 1831)
Prenons par exemple la notion de temple puisque ce mot s'impose à Carnac depuis 1805 avec Jacques Cambry, pour mieux l'abandonner dans son acceptation communément admise.
De quel édifice s'agit-il ? Pour quel public ? Pour quelle divinité ? … Questions simples auxquelles on ne peut pas sincèrement répondre.
Mais ce mot-obstacle temple a un intérêt qui dépasse les concepts archéologiques dans le sens où, comme tout mot, il touche au langage, au découpage verbal, qui découpe dans l'espace, qui institue un intérieur, un plan provenant de formes archaïques quadrangulaires tendant progressivement vers le carré. Ce mot devient un mot-outil en ce sens qu'il évoque l'idée de limite.
Avec la pensée de la délimitation spatiale relève Ernst Cassirer, se développe la forme de la définition logique et mathématique : limite et illimité.

         2. Une question archéologique
Poser une question archéologique à propos de « l'alignement » du Grand Menhir à Locmariaquer, c'est commencer par assumer le lien cognitif établi par l'archéologie entre l'Art et la Science.
L'esthétique est une donnée anthropologique fondamentale.
Dans son traité, « Le Monde comme volonté et comme représentation », Arthur Shopenhauer définit la beauté de l'objet comme sa propriété à faciliter la connaissance de l'Idée. Le but de l'art est donc de communiquer l'Idée une fois conçue. L'Idée, c'est l'unité qui se transforme en pluralité par le moyen de l'espace et du temps (formes de notre perception intuitive) ; le concept, c'est l'unité extraite de la pluralité, au moyen de l'abstraction qui procède de notre raison. L'Archéologie recouvre ce binôme.

                   3. Une question architecturologique
L'architecturologie postule une distinction entre objet de connaissance, l'architecture, et connaissance de l'objet. C'est un travail théorique sur l'architecture.
Le modèle architecturologique met en œuvre deux concepts fondamentaux : le modèle et l'échelle (échelle symbolique, de visibilité, optique).
Pour Philippe Boudon, percevoir l'espace architectural, c'est le percevoir comme ayant été conçu.
Entre l'espace « vrai » des ouvrages carnacois et l'espace mental du Néolithique se fait un passage don les règles sont celles d'une échelle : la mise en relations des mesures d'un espace avec les mesures d'un autre espace.
Georges Perec écrivait dans « Espèces d'espace » : « Il n'y a rien d'inhumain dans une ville, sinon notre propre humanité. »
C'est notre propre humanité qui est « énorme » à Carnac.

II. Le sujet de la recherche

   1. Quel site ?
Jusqu'à 2000 stèles ont été détruites dans la région de Carnac depuis les années 1800.
Des stèles sont cachées mais visibles dans la lande ou dans des propriétés privées ; d'autres ne sont visibles que par leur pointement lorsqu'elles ont été enfouies par des agriculteurs. Enfin de nombreuses stèles ont été submergées (le gisement de Kerbourgnec au large de Saint-Pierre-Quiberon est le plus démonstratif : des centaines de monolithes organisés en files parallèles probablement aussi étendu que le Menec ou Kermario à Carnac).
Il convient donc que l'archéologie prenne en considération tous ces éléments pour circonscrire au plus près le site.
Déjà, lors du congrès archéologique de Porto en 1993, auquel participaient Catherine Bujot et J. Vaquero, une modélisation de l'implantation des barres de stèles et des tertres funéraires a été effectuée. Cette vue synoptique a été améliorée, grâce aux progrès de l'outil informatique, en 2003.

    2. A quelle époque ?
Aux méthodes de datation traditionnelles, rapports stratigraphiques, carbone 14, l'archéologie doit engager d'autres méthodes comme l'OSL (luminescence stimulée optiquement).

3. Pour quelle fonction ? (sciences de l'imprécis)
Toute fonction est signe d'elle-même. Prenons, à l'instar de l'écrivain Rolland Barthes, l'exemple vestimentaire : le bleu de travail sert à travailler, mais il signifie aussi le travail ; l'imperméable protège de la pluie, mais il la signifie également.
Le signe de l'objet culturel tend à se séparer de la fonction : la veste dite « de sport » n'a plus de fonction sportive, elle n'est plus que le signe de la tenue décontractée à l'opposé de la tenue habillée.
La fonction proposée pour Carnac réunira deux éléments fondamentaux du langage : transmettre des significations objectives et suggérer des valeurs plus ou moins métaphoriques.
L'analyse des fonctions des stèles qui sont érigées aujourd'hui s'avère pertinente.
Une stèle peut reposer sur le passé des hommes en tant que stèle funéraire qui s'impose d'elle-même...
Une stèle peut intervenir dans le présent des hommes.
En Indonésie, aux Nouvelles-Hébrides, en Inde, par exemple, des personnages de haut rang commandent encore des stèles pour affirmer leur prestige.
Une stèle peut prétendre au futur des hommes.
Prenons l'exemple, en Khakassie, d'une stèle de l'Age du Bronze réinvestie par une chamane y versant du beurre pour obtenir protection ; ou l'exemple d'une stèle du Néolithique transportée au centre de la commune du Bono (Morbihan) en hommage aux combattants des deux dernières guerres.

III. Le moyen de la recherche

     1. Théoriquement
En analysant les grands récits mythiques, où transparait si bien la structure de l'esprit humain, les philosophes et les anthropologues tirent les principes directeurs de rapport à l'altérité, et un processus général de division et d'opposition.
Exemples contemporains illustrant le rapport à l'altérité : la publicité pour le whisky Campbell « Au cœur des terres du Clan Campbell » et Ballantine's grande flasque...

    2. Un modèle cognitif
Inventaire des outils conceptuels participant à l'élaboration d'un modèle interprétatif.

• La limite
Il se dégage de tous les récits mythiques une constante : le passage systématique d'un monde à l'autre, à travers une certaine limite séparatrice. La limite, défense magique de l'espace habité, qui forme un intérieur, contre un monde hostile extérieur.
• La hauteur
Pour Gaston Bachelard, le psychisme humain se spécifie comme volonté de redressement, mais la pure verticale alerte, inquiète, elle est source de tentations et de provocations.
Illustrons ce propos par les images de Troie (Homère, Iliade ;Virgile, Les Lénéides) ,et de New-York avec ses « twin towers », à l'assaut desquelles s'élancent, pour la première, un monstre marin, pour la seconde un monstre mécanique aérien, l'avion du 11 Septembre 2001.
Les stèles de Carnac forment aussi des verticales agressives.
La stèle seuil et la stèle porte sont des pures verticales signifiant le passage symbolique entre deux mondes.
La porte de ces stèles est souvent faussement figurée ; comme sur la stèle dite du roi Ezana à Axorem en Ethiopie ; ou par un changement d'échelle la porte est rendue miniature, comme « les tombes des géants » en Sardaigne.
Dans le film de Kubrick « 2001 l'Odyssée de l'Espace », l'objet récurrent est une stèle seuil, tour à tour apeurante et moyen de transition spatio-temporelle.

• La matière
Les Néolithiques, auteurs de cette architecture, l'ont voulue en pierre pour qu'elle s'impose et qu'elle perdure.
Les roches dures sont pesantes, pérennes, immobiles, éternelles.
( Reconnaissons que nous serions singulièrement désappointés si nous découvrions que cette architecture a été bâtie en pierre ponce, en bois ou en polystyrène...
Elle se réduirait alors, selon Gaston Bachelard, à une apparence d'édifice. )

• Le complexe de Méduse
Méduse dont le regard changeait en pierre ceux qui la regardait...
Les mythes regorgent d'exemples de pétrification : Orphée, la femme de Loth, …
Les premiers voyageurs arrivant à Carnac ont été effrayés (pétrifiés) comme Bourreau-Deslandes notant en 1720 : « … Toutes les campagnes étaient parsemées de pierres monstrueuses...».  Le vicomte de Pulligny au XVIIIe siècle déclarant : « … les avenues de Carnac où nous nous égarâmes avec stupeur, tout frissonnant d'épouvante... ».

• Le discontinu

L'agencement des stèles s'opère en continu lorsque les pierres sont jointives (le Ménec   Ouest), et surtout en discontinu lorsqu'elles sont espacées d'un intervalle constant (le Ménec Sud).
C'est l'aspect le plus intéressant de cet ouvrage de pierres.
Bien des représentations procèdent de percepts du continu et du discontinu.
Les peintures de points et de traits alignés sur les parois des grottes paléolithiques, les ossements et galets incisés du Paléolithique supérieur, les gravures sur les stèles et sur les céramiques du Néolithique.
Le vêtement rayé, étudié par Michel Pastoureau, est attribué au Moyen Age à ceux qui transgressent l'ordre social : bâtards, bouffons, prostituées, condamnés, etc.
La rayure est aujourd'hui déclinée sur les vêtements style marin, les toiles de tentes et de   chaises longues, etc.
La signalétique routière internationale, la casquette de la police municipale de Nantes, etc.
Murs de séparation ethnique : Berlin, Jérusalem, Mexique-USA.
La culture occidentale a associé la notion de discontinu (rayure) à celle d'empêchement (bloquer), d'interdiction, de punition, de danger, d'alerte, de confusion, de contrôle (filtrer).
• La répétition

La réplication d'un élément tend vers l'indifférenciation, qui est perçue comme source de désordre à régler. Confrontés à une confusion entre le fond et la figure, provoque en nous le rire et l'angoisse.
Selon le philosophe Henri Bergson, la vue de deux images semblables, ou de gestes répétés comme ceux d'un orateur, nous trouble, et notre première défense est le rire. Nous rions aussi devant les balais répliqués du film d'animation « Fantasia » des studios Disney, mais nous angoissons devant la reproduction des clones ou robots anthropomorphes de films de science-fiction.

• Le passage
Le couloir des dolmens, permettant lien et transition entre l'extérieur clair des vivants et l'intérieur sombre des défunts, est la réalité physique du passage.
Pensons maintenant cette réalité physique du passage sur un territoire de près de 100 km² entre la ria d'Auray et la ria d'Etel. Il y a forcément des zones de plus grande discontinuité, de passage, dans cet ouvrage où, rappelons-le, la tumulation des sépultures est contiguë aux barres de stèles.
Dans la nature, les lieux de passage comme les monts, les cols, les gués, les gouffres, sont potentiellement dangereux et forment la matière d'innombrables croyance illustrée en Armorique par les saints sauroctones, version christianisée des dieux celtiques, eux-mêmes issus d'un lointain passé.

• En somme, le modèle
Il ne convient pas de saisir l'ouvrage de Carnac par l'intérieur. Commençons par percevoir son extérieur. Alors, nous ressentons nettement l'effet d'obstacle qui est rendu par un parti-pris architectural : confondre le fond et la figure par la réplication de la stèle à l'infini sur des lignes parallèles ou orthogonales.


      3. Des hypothèses archéologiques

Nouvelles grilles de lecture
• Selon l'espace
Il n'y a pas si longtemps, les cheminements suivaient la vallée et son cours d'eau, le col entre les collines, la crête, la pente, c'est-à-dire le relief. Ce paramètre est à prendre en compte pour localiser et étudier la disposition de cette architecture de pierres.

• Selon le temps
La première moitié du Ve millénaire correspond à un bouleversement culturel avec la diffusion des techniques agricoles dans l'Europe entière. Ce bouleversement s'est exprimé architecturalement d'abord sur les zones sensibles, de contact, qui sont à définir ; puis les constructions se succédant sur ces mêmes territoires ; enfin, le modèle imité perdurant à l'intérieur de la péninsule armoricaine.

• Selon la forme
En Grande Bretagne et en Irlande, les cursus, longues structures rectilignes et parallèles, formées de talus et de fossés, induisent que le concept de limite n'a pas été mis en œuvre uniquement par la barre de stèles, la terre et le bois ayant été une réponse locale. La structure demeurant la même cependant.
L'étude de la correspondance des barres de stèles et des cursus présents dans ces régions britanniques (Kennet avenue, Hurston Ridge) s'avère donc riche d'enseignements.
A Erdeven, le site de Coët er Blei permet de présager une liaison possible entre des ensembles considérés jusqu'alors comme distincts.

• Selon l'image

Une « grammaire » commune s'applique aux représentations des stèles gravées (barres du Grand Menhir à Locmariaquer, Le Ménec à Carnac, Kerzhéro à Erdeven, etc.).
Cette grammaire intègre le principe directeur mis en œuvre en architecture, barrer :
à la Table des Marchands et Gavrinis, un cachalot contre des animaux et des armes ;
au Mané Rutual, un phallus contre une lame de hache. Cette forme phallique, qui ne symbolise nullement une déesse ou une figure anthropomorphe, accentue la verticalité de la stèle dressée signifiant seuil, alerte. Elle peut être, par extension, la traduction artistique des passages lorsqu'elle est perçue comme porte.
Les régions sud du Portugal offrent des exemples de la forme phallique.

• Selon le nom
La toponymie peut paraître non crédible, du point de vue de l'archéologue, mais trop d'indices laissent entrevoir un rapport entre la forme linguistique et les grands ouvrages de pierres de l'Ouest de la France.
Ainsi, nous formons l'hypothèse que le nom corneille (ou corbeau) est déterminant :
les grands sites de stèles (Carnac, Erdeven, Plouhinec, Camors,etc.) ont été placés sous la protection de Saint Corneille (Cornély) par l'Église ;
un corbeau (ou un pigeon) est représenté sur la stèle du Bronzo dont le nom breton est Men Bron (ou Men Bran) ;
beaucoup de communes de cette partie d'Armorique littorale portent des toponymes bretons formés sur le mot corneille : vran (ou bran) ;
les graphies anciennes de l'ethnonyme Carnac  (carnacum, cornacum, curnaco, etc.) se retrouvent dans d'autres régions de France, en Ombrie (où curnaco signifie corneille), en Croatie ;
la corneille (ou corbeau) est considérée comme le plus intelligent des oiseaux,  jouant le rôle de médiateur dans les plus anciens mythes d'Europe, de la Grèce à la Scandinavie, d'Irlande et du Pays de Galles ;
la légende des soldats romains pétrifiés par Saint Corneille (Cornély) expliquant les alignements de Carnac.


III. La pratique de la recherche

1. Le corpus
La base de données du service de la carte archéologique n'est que partiellement réactualisée par rapport aux déclarations de découvertes de tout informateur. Ces découvertes incitent à partir à la recherche de nouvelles implantations de mégalithes.
Un enregistrement tridimensionnel par un scanner de surface 3D ou un scanner aéroporté gagnera en temps et en précision.
L'emploi de la réalité virtuelle s'avère alors un élément du discours scientifique pour tester la validation du modèle interprétatif.

Une mise au point s'impose sur cette accumulation d'indices par
la constitution d'une base de données en Morbihan, puis en Armorique, compatible avec la structure développée par les Services Régionaux de l'Archéologie, mais en y ajoutant d'autres entrées et d'autres interrogations propres à l'activité de recherche ;
des sondages ponctuels déterminant si les roches en question ne sont pas le résultat de l'érosion, qu'elles ne sont pas exogènes, mais qu'elles sont des stèles préhistoriques abattues, enfouies ou chutées.

2. Les tests de validation
• (Topographie), Topologie
La topologie, qui englobe les notions de limite et de voisinage sied au complexe carnacois qui conserve ses propriétés quels que soient les changements d'échelles fixés par l'observateur. Grâce à cette discipline, nous serions en mesure d'évaluer la disposition et la perception du site selon un cheminement pédestre orienté depuis la mer ou depuis la terre. La réalité virtuelle permettrait d'appréhender les barres de stèles, en déterminant où est la limite (la frontière) et où sont les points de « passage ».

• Datation

Empruntons à la géologie la méthode OSL (luminescence stimulée optiquement) qui fournit des datations fiables pour les surfaces de constructions en granite qui ont été enfouies.

• Déplacements
L'archéologie expérimentale permettra une meilleure compréhension du transport des monolithes. Les travaux de l'archéologue Cyrille Chaigneau et de son équipe sont prometteurs.

• Chute et fracture
Des simulations de chutes et de séisme sur la maquette du Grand Menhir permettront de comprendre comment il s'est brisé.

• Stèles cachées
La recherche par prospections et sondages géophysiques s'effectuera sur
les barres « incomplètes » (file du Grand Menhir, Kerdual, complexe d'Erdeven, …) ;
les stèles enfouies notamment par des agriculteurs (Sainte-Barbe, Kerdruellan, Vieux Moulin, Mané Lud, …) ;
les barres de stèles submergées par la transgression flandrienne (Kerbourgnec, Kerdual, Kerpenhir, …).

• Application du modèle
La recherche des espaces (et contextes) topologiques de séparation s'élargit hors du Morbihan pour mieux tester le modèle :
barres de stèles de la région de Langon (Ille-et-Vilaine) ;
barres de stèles d'Arbourg et de St-Géréon (Loire-Atlantique) ;
en Europe : Merrivale, Hurston Ridge, Down Tor (Royaume-Uni) ; Cloonsharragh, Eightercua (Irlande) ; barres de stèles des lacs de Neuchâtel et Leman (Suisse) ; Cauria, Stantari (Corse) ; Pranu Mettedu (Sardaigne) ; Lunigiana (Italie) ;
dans le monde : Hartashen (Arménie) ; les complexes Mongolo-Altaïens ; Tiya (Ethiopie) ; ...

• Traditions orales, traditions écrites, traditions et invariants architecturaux

Solliciter le domaine des légendaires, de l'histoire des religions, de l'ethnographie, car les contextes mythiques, bibliques, architectoniques de par le monde sont une source primordiale d'informations.
A Carnac, la légende de Saint Corneille (Cornély) domine la tradition. Dans de nombreux lieux de la terre, le légendaire relatif aux pierres dressées parle de guerriers pétrifiés.
Carnac est en bordure d'océan. Les contes et légendes d'Armorique, ainsi que les légendaires grec et biblique, évoquent ce rivage d'où peut surgir l'ennemi, le monstre, le rapt...
Les militaires américains de passage à Carnac, au cours de la Libération, ont cru reconnaître une défense antichar allemande à la vue des champs de pierres dressés...
La barre d'immeuble de Prora en Allemagne, la plus grande architecture nazie, fut un camp de vacances qui ne servit jamais. A la vue de la réplication des fenêtres, les commentateurs parlent d'angoisse.
Prora et Carnac partagent cette composante d'angoisse et l'implantation sur le rivage d'où arrive l'inconnu , le danger, l'inattendu.




CONCLUSION

Toute l'énigme de Carnac repose sur l'architecture.
L'architecture,expression esthétique dominante chez les humains selon Victor Hugo qui, dans Notre-Dame de Paris, écrivait:

«... On scella chaque tradition dans un monument... »

La volonté de vivre de l'humain, au-delà de l'anéantissement provoqué par la mort, le pousse  à agir esthétiquement sur le réel pour perdurer  en laissant trace : graver, sculpter, édifier.

« Peindre, composer, écrire : me parcourir.  Là est l'aventure d'être en vie... »
(Henri Michaux, Passages)

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Une dernière image pour clore cet exposé , celle du jeune héros de bande dessinée de John Flanders, Edmund Bell.:
1ère vignette : Edmund se voit en songe en habit à damier franchissant un gouffre sur un fil portant des fanions alternant des couleurs.
2ème vignette sous-jacente nous informant de la réalité : au bord de l'océan, Edmund est en train de franchir une barre de rochers émergeant de l'eau, comme un pont, pour rejoindre un navire...


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L'entreprise est immense et nécessite une réflexion collective organisée au sein d'un programme ambitieux de recherches. Plusieurs résultats positifs encouragent déjà à suivre cette voie  difficile.


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Annexe :
Réponse fournie par Serge Cassen à un auditeur qui s'interrogeait si ce secteur du Morbihan fut un des foyers de la civilisation néolithique :
- « Ce qui s'est passé en 2 ou 3 siècles au milieu du Ve millénaire s'est épanoui en plusieurs points de l'Europe. Carnac est un de ces grands foyers ».